Médiation médicale, expérience et enseignements
François BECMEUR | Jean-Philippe BRETTES | Christian MEYER | Martine FAUCHERAND | Mathilde DURAND | Véronique SERY
Séance du mercredi 17 janvier 2024 (Consultants et experts)
N° de DOI : 10.26299/jmvy-3v52/emem.2024.02.04
Résumé
La fonction de médiateur médical a été introduite dans les hôpitaux par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Dans le même texte, étaient créées les Commissions des Relations avec les Usagers et de la Qualité de la Prise en Charge (CRUQPC), devenues récemment Commissions Des Usagers (CDU).
Le déroulement de la médiation médicale est le suivant : une doléance ou réclamation est exprimée par un patient ou sa famille à l’encontre de l’établissement, d’un ou plusieurs services, de soignants, de médecins. On parle de réclamation lorsqu’il y a une demande de médiation. Si la demande est indemnitaire ou de judiciariser la doléance, on parle de plainte.
Le médiateur médical étudie le dossier du patient. Il consulte les personnels soignants et médecins concernés, mis en cause par la réclamation. Ainsi, le médiateur dispose d’éléments de réponse et de réflexion. Au décours de ce travail préparatoire indispensable, le médiateur reçoit le plaignant accompagné ou non d’un ou plusieurs membres de la famille, d’un soutien juridique, voire d’un médecin.
Au décours de l’entretien entre réclamant et médiateur, un rapport de médiation est rédigé par le médiateur. Ce rapport est adressé au réclamant et aux responsables de services mis en cause. Puis, il est présenté à la commission des usagers. Les représentants des associations d’usagers, le conseiller juridique de l’hôpital, les représentants de la Direction Générale, La Direction Qualité, les représentants du personnel médical et paramédical, débattent alors de la teneur du message que la CDU pourrait adresser aux personnes ou aux services concernés par la réclamation, dans un but d’amélioration de la qualité. Parfois, le réclamant est orienté vers une commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI).
Ce travail propose une revue des réclamations et médiations sur une période donnée. Il permet de décrire les principaux thèmes d’insatisfaction des patients ou de leur famille.
L’objectif est de dégager des leçons ou actions d’amélioration à transmettre aux médecins et soignants mais aussi aux étudiants en médecine et soins infirmiers.
MATERIEL ET METHODE
Nous avons revu les dossiers traités par un médiateur (on compte trois médiateurs en activité) sur une période de 3 ans. Les données suivantes ont été relevées : média de la doléance ou réclamation, à qui s'adresse la réclamation, le réclamant et son contexte, les principaux sentiments exprimés, l’objectif de la réclamation, identification des thèmes constituant les principaux motifs d’insatisfaction.
RESULTATS
Au total, 265 médiations avaient été traitées sur la période allant de janvier 2019 à décembre 2022. Soixante-dix-neuf médiations ont été analysées, soit 30% des médiations. Elles correspondent à l’activité d’un des trois médiateurs médicaux de l’établissement hospitalier.
La majorité (62%) des doléances sont adressées par courrier postal et 19% par courriel. Seulement 11% des réclamations ont été exprimées et détaillées au téléphone avec pour interlocuteur le secrétariat de la Direction Qualité de l’établissement hospitalier. Dans 8% des cas, le questionnaire de sortie avait relayé l’insatisfaction d’un patient.
La plainte est le plus souvent adressée à la Direction Générale (66%). Des copies de la plainte ont parfois été adressées au journal local, au directeur de l’ARS, à l’Ordre des Médecins, à certains députés, au Président de la République ou à son épouse.
Le réclamant est le plus souvent une femme (73%). Dans ce cas, il s’agit de la patiente, pour elle-même (20%). Il peut s’agir de l’épouse d’un patient ou encore de sa mère, sa fille, sa petite fille voire sa belle-fille.
Lorsqu’un homme s’exprime à l’encontre de l’hôpital, c’est dans 60% des cas à propos de lui-même.
Le plus souvent (90% des cas), le réclamant vit en Alsace ou dans le département de la Moselle. Mais dans les 10% restants, la réclamation peut avoir une origine plus lointaine : la Côte-d’Or, la Meuse, le Luxembourg, les Pays-de-la-Loire, les Côtes-d’Armor, les Landes, le Portugal.
Dans 24% des cas, le décès d’un conjoint ou d’un proche est le contexte de la réclamation.
Plusieurs thèmes peuvent faire l’objet de la médiation; l’un n’excluant pas l’autre. Aussi le total des pourcentages peut dépasser 100.
Le principal sentiment exprimé dans la réclamation est l’indignation, le mécontentement, la colère, l’incompréhension. Le réclamant souhaite avoir des réponses à ses interrogations, obtenir réparation ou indemnisation et parfois demander la transmission du dossier médical. L’objectif : « Empêcher que cela se reproduise pour d’autres », « Plus jamais ça ».
Le sujet principal des médiations est soit d’ordre individuel : information, comportements, déontologie, sous-évaluation de la douleur exprimée par le patient. Soit d’ordre systémique hospitalier (les sorties « précipitées » de patients, les conditions dégradées d’hébergement en service d’Urgences ou de gériatrie, le principe des lits d’hébergement). Enfin, certaines médiations peuvent être liées à une insatisfaction des familles, inhérente aux difficultés de faire le deuil d’un proche, à une forme de culpabilité, à des incompréhensions diverses.
I Problèmes individuels : information, comportements, déontologie sous-évaluation de la douleur exprimée par le patient
Le défaut d’information représente le principal sujet de la médiation (53%)
L’information au patient ou à ses proches a pu être jugée insuffisante ou retardée. Le défaut de séniorisation de l’annonce et des entretiens de suivi est un reproche récurrent.
Les informations délivrées par des personnes différentes peuvent apparaître fantaisistes ou contradictoires. « La journée est passée sans nouvelle particulière. Vers 17h00, arrive dans ma chambre un jeune interne qui proclame : c’est bon, vous sortez aujourd’hui. Je reviens tout de suite ». Finalement, l’interne revient un peu plus tard et déclare : « on ne sort pas ! »
Les mots définissant la pathologie sont détournés à la faveur d’un vocabulaire où l’on évoque une « méchante maladie », « une petite boule », « une toute petite tumeur », « il y a de l’eau dans votre poumon ».
Une épouse commente : « j’aurais préféré entendre une annonce précise, sans ambages et disposer de plus de temps pour m’entretenir avec les médecins ».
L’information entre personnels de santé ne tombe pas sous le sens. Soit l’information apparaît dans le système informatique de l’établissement mais aucune alerte n’invite le prescripteur ou son successeur dans l’unité de soins à en prendre connaissance. Soit l’information ne circule pas bien entre médecins du fait de l’absence de transmissions orales et écrites indispensables dans des équipes où les uns et les autres se croisent entre un repos de garde une formation, une garde ou astreinte. Ou encore, le réalisateur de l’examen d’où émerge parfois une information essentielle pour le patient, ne cherche pas à communiquer directement avec le médecin prescripteur.
Lorsque l’information n’est pas limpide aux yeux du patient ou de la famille, lorsqu’elle est retardée sans justification particulière, lorsqu’elle est contradictoire, ou lorsqu’elle est absente, le doute s’installe.
Toute interprétation de la situation clinique du patient telle que perçue par l’entourage, devient possible. Très vite le patient ou ses proches évoquent des hypothèses pour tenter d’expliquer par eux-mêmes la situation qui n’a pas encore reçu d’explication. « Une erreur médicale, à n’en pas douter ».
C’est parfois le contraste entre une information rare et rassurante puis la soudaineté de l’annonce d’un décès, qui fait dire aux familles « on nous cache quelque chose ». A fortiori lorsque l’annonce du décès est retardée par négligence, ici de 3 heures et là de plus de 48 heures.
Enfin, la transmission administrative d’un dossier médical pour complément d’information, ne répond pas toujours à l’attente de familles : « J’ai reçu une liasse de documents redondants, sans cohérence et vides de sens ». Ce qui ne permet pas de mieux comprendre les causes et les circonstances du décès d’un proche.
Le défaut d’information contribue à l’évocation d’une possible « erreur médicale » pour 15% des médiations.
Anomalies de comportement de la part de médecins ou soignants à l’égard du patient ou de ses proches occupent 49% des médiations
Une plaignante a parfaitement défini ce chapitre : « toutes ces petites choses qui ne font pas bonne impression », qui jettent le discrédit et qui étoffent la plainte et nourrissent l’objet de la médiation.
L’abus de pouvoir est parfois ressenti et déploré. Ce qui peut apparaître comme étant une intimidation, n’aide pas à convaincre lors des décisions difficiles d’orientation des soins. Une plaignante écrit : « le métier de soignant n’accorde pas le pouvoir ». Elle ajoute que certains soignants médecins et non médecins manquent parfois de discernement et rappelle qu’un malade est souvent allongé, diminué, vulnérable et donc en position d’infériorité. « On a parfois l’impression de se faire rabrouer ». Brusqueries de langage comme suit : « l’empathie, monsieur, n’a jamais soigné une embolie pulmonaire ! », maladresses, toute forme d’autorité exercée indûment sur un patient, choquent patients et familles.
Dans un autre registre que l’abus de pouvoir, on regrette fréquemment « une forme d’infantilisation ». « On vous expliquera ça plus tard, c’est compliqué… » ou bien « votre maman est une vieille personne, tout le monde doit mourir un jour », ou encore « vous savez, à cet âge, les personnes simulent pour attirer l’attention »… mais dans ce cas précis, la patiente devait décéder lors de son transfert à l’hôpital.
Dans 13% des médiations, la notion de soignant maltraitant ou d’institution maltraitante est évoquée. Pour exemple, un homme très âgé avait accompagné son épouse de 92 ans aux Urgences pour dégradation majeure de son état général. Il était conscient de suivre les derniers instants de son épouse. Trois jours plus tard, un samedi soir, il peut encore lui rendre visite. Il redoute un ultime appel de l’hôpital à son domicile. Le mardi suivant on lui apprend que son épouse était morte dans la nuit du samedi au dimanche. Des défauts dans les transmissions, des responsabilités individuelles mais aussi institutionnelles ont été mises en lumière. Les suites de la médiation ont induit un travail de réflexion suivi d’une meilleure organisation au sein de l’équipe.
Le non-respect de la déontologie choque et renforce l’insatisfaction d’un plaignant. Un chirurgien s’était fait remplacer par un jeune collègue. Ce dernier déclarait en fin de consultation : « Je n’aime pas voler des patientes à mes collègues mais j’adore faire ce type d’opération. A vous de décider finalement quel sera votre thérapeute ».
Quelques récits de plaignants rapportent qu’un médecin (ou chirurgien) avait commenté la prise en charge initiale d’un collègue de ville ou de l’hôpital et avait insinué qu’il y aurait eu manquement, voire faute. De tels défauts de déontologie déclenchent ou étayent les plaintes.
Aux Urgences, certaines fractures, bénignes le plus souvent, peuvent être dépistées de façon retardée sur les radiographies, grâce à l’apparition d’une apposition périostée seulement visible quelques jours après le traumatisme. Dans ces conditions, quelques jours après le traumatisme, il devient aisé de moquer le collègue ou l’équipe d’urgence qui aurait manqué le diagnostic au premier jour. Les allégations injustifiées et désobligeantes de confrère à confrère participent à jeter le trouble auprès du patient et de son entourage. Le doute quant à une possible « erreur médicale » est né.
Le défaut de prise en charge de la douleur concerne 14% des médiations.
Une cure de chimiothérapie venait d’être décalée du fait de la survenue de complications imposant une hospitalisation d’urgence. La patiente très algique, venait d’arriver au service des Urgences. En attente de soins, elle a dû échanger par SMS avec un taxi initialement prévu au lendemain pour sa chimiothérapie, afin de décaler le rendez-vous. C’est à cet instant qu’une infirmière s’approcha de la patiente pour consigner son auto-évaluation de la douleur ; cette dernière répondit « 6/10 ». Aussitôt l’infirmière rétorqua : « au-delà de 5, on n’est plus en capacité de jouer avec son téléphone ». Et d’autorité, elle rétrogradait l’évaluation de deux points.
Un homme opéré d’une tumeur exprimait à son réveil une douleur de 7 sur une échelle de 10. La personne en charge de ce patient a tout de suite jugé que ce n’était pas possible et a dégradé sa note. « Elle a dû penser que je délirais » commente le patient.
Une jeune interne effectue une reprise de plaie opératoire sous anesthésie locale et annonce : « il va falloir serrer les dents ».
Certains patients très algiques, non soulagés, peuvent devenir insistants, et appellent de façon répétée. Ils peuvent susciter des remarques désobligeantes et inadaptées de la part de soignants impuissants ou débordés ou agacés, d’être dérangés dans leurs tâches. « C’est inutile de sonner comme ça, on ne viendra pas plus vite ».
II Problèmes systémiques hospitaliers : les conditions dégradées d’hébergement en service d’Urgences, les sorties « précipitées » de patients, le principe des lits d’hébergement
Les services d’Urgences sont au cœur de 19% des médiations. Les conditions du séjour aux Urgences sont parfois qualifiées d’inhumaines. Les locaux sont souvent jugés exigus sources d’une grande promiscuité. La bousculade quasi permanente jour et nuit, les courants d’air, le peu de temps disponible des soignants débordés, la station jusqu’à plus de 40 heures dans un couloir, ou un box, une literie qui varie du simple brancard étroit et inconfortable totalement inadapté en ça d’escarres fessières au lit d’hôpital, les soins difficiles dans des conditions tendues de confidentialité, des changements de couches rares, de même que les possibilités de s’hydrater ou de se nourrir (en l’absence de troubles de la déglutition et à condition qu’aucune anesthésie n’est envisagée dans les prochaines heures), tous ses éléments appartiennent aux témoignages des patients et de leur famille.
Les proches des personnes âgées, dépendantes ou présentant un handicap, des patients très dégradés cliniquement, regrettent de ne pas avoir été acceptés aux Urgences pour accompagner et aider voire rassurer et enfin transmettre au reste de la famille les informations concernant le malade.
Les départs « précipités » de l’hôpital s’agrègent à d’autres commentaires négatifs dans 17% des médiations.
Certains départs mal annoncés ou insuffisamment préparés vont induire des difficultés pour le patient et sa famille.
La technicité de l’hôpital a permis de développer le concept de chirurgie ambulatoire et de fast-track. Mais la disponibilité de l’entourage d’un patient ainsi que celle des médecins généralistes, peuvent rendre bien des retours à domicile périlleux. Une fille de patiente témoigne : « Le corps de ma maman contient une Rolls mais le reste ne suit pas… certaines pièces de rechange sont neuves mais la vieille carrosserie demeure… on a jeté maman dehors ! Le retour précipité s’est soldé par bien des complications ».
Auprès des patients à leur domicile, bien des tâches reposent sur les aidants familiaux. Ils expriment leur souffrance de se sentir responsables de défauts de soins et de mise en danger du patient dont ils sont proches. « L’aggravation de l’état de santé de mon mari nécessitait ma présence jour et nuit et ne m’autorisait plus la moindre absence ne serait-ce que quelques minutes pour faire les courses ». Une hospitalisation prolongée, ne serait-ce que de quelques jours, est une source de répit pour l’aidant familial épuisé.
La désertification médicale et la rareté de lits disponibles en SSR ou en EHPAD rend très compliquée l’organisation des sorties de l’hôpital au décours d’un soin ou d’un traitement ponctuel et parfois dans l’urgence.
Des transferts d’un service à un autre à tout moment du jour ou de la nuit et parfois sans en informer la famille, le développement des « lits d’hébergement », témoignent de la rareté des lits dans les hôpitaux et du souci de « mutualiser les moyens ».
Dès qu’un patient évolue favorablement, il est possible de lui faire quitter l’unité de soins intensifs pour un lit d’hospitalisation conventionnelle, moins consommateur de moyens humains et matériels. La rareté de tels lits justifie leur « gestion à flux tendu ». Mais certains réclamants évoquent des transferts de nuit sans en avertir le conjoint ou la famille, ce qui a pu générer bien des angoisses le lendemain lors des visites.
Les lits d’hébergement sont un recours possible, une mise à disposition des patients quel que soit la spécialité représentée, mais géographiquement proche du service dont va dépendre le patient ainsi hébergé. Les patients et leur famille reprochent une forme de pratique médicale « à distance » avec l’absence remarquée du senior responsable qui agirait par délégation à l’aide d’un jeune interne dont la communication n’est pas toujours informative.
Il est reproché à certaines équipes soignantes « hébergeantes » de ne pas prêter suffisamment attention à une prise en charge attentive, notamment de la douleur. Hébergeurs et prescripteurs ne sont pas les mêmes. Les responsabilités sont différentes et la communication directe ou via le réseau informatique de l’hôpital pose de nombreux problèmes dont sont témoins les plaignants.
III Miscellanées
L’impression d’une fin de vie « escamotée », le conflit entre médecin et patient, la période COVID, les déprogrammations, les pertes d’objets, la suspicion de vol, la réception d’une facture pour un soin inefficace, une facture abusive pour des services non rendus, les conditions d’hébergement médiocres, la qualité de la nourriture, l’atmosphère de certains services, le comportement de certains, des soins inappropriés, un défaut de disponibilité, un manque d’empathie, apparaissent comme des catalyseurs de plaintes.
DISCUSSION
Lors des entretiens de médiation, les récits ne constituent pas une accumulation de charges contre nos établissements hospitaliers mais une base de réflexions qui doivent permettre l’amélioration de la qualité des soins.
Il faut remettre en perspective la somme des plaintes ou réclamations reçues en comparaison du très grand nombre d’hospitalisations sur la même période.
Le défaut d’information constitue la principale doléance. On reproche une information :
• Inadéquate, « une toute petite tumeur » alors que l’espérance de vie ne dépasse guère 6 mois,
• Retardée, plus de 48 heures après la survenue d’un évènement indésirable
• Distillée, incomplète et progressivement achevée
• Infantilisante, recourant à un vocabulaire non explicite qui ne permet pas au patient ou à la famille d’approfondir le sujet ultérieurement et s’il le désire.
Or, depuis plus de trente ans, les cours d’éthique en faculté de médecine mettent en avant le principe d’autonomie. Celui-ci s’oppose au paternalisme d’autrefois « le médecin sait et décide pour vous, évitant ainsi l’inconfort ou l’angoisse de savoir toute la vérité et de participer aux décisions thérapeutiques ».
Ce débat avait été parfaitement illustré et argumenté par Pierre VIANSSON-PONTE journaliste au MONDE, décédé le 7 mai 1979 des suites d’un cancer et Léon SCHWARTZENBERG cancérologue. Ils ont corédigé un livre intitulé « Changer la mort » publié en 1977.
Quarante-six ans plus tard, il semble que le débat éthique demeure : « doit-on dire toute la vérité, quelle vérité et à qui » ?
Un manque dans l’annonce médicale induit de nombreuses questions et génère le doute. Et lorsque le doute s’installe, toute interprétation devient possible. La confiance dans les soignants s’altère et la notion d’une possible erreur que les médecins voudraient masquer, s’installe dans les esprits inquiets du patient ou de ses proches.
« La discussion qui conduit à une prise de décision doit être décrite de façon suffisamment détaillée et intelligible afin d’éviter de se voir reprocher un défaut d’information voire une erreur médicale. Mais l’incertitude diagnostique fait partie de la profession et nous devons l’assumer et en informer les patients », nous rappelle un médecin référent qualité de l’établissement.
De plus, le temps passé avec le (la) patient(e) et/ou ses proches (personne de confiance, ou les parents, quand il s’agit d’un enfant malade) est essentiel ainsi que la disponibilité proposée : « Je reste à votre disposition pour répondre à toutes vos questions ».
L’information, c’est aussi celle qui doit circuler entre médecins et/ou soignants. L’émergence du tout-numérique et les repos compensatoires ne devraient pas affranchir les médecins de communiquer directement entre eux.
De même que tout prescripteur doit s’imposer dès que possible la lecture du résultat de l’examen demandé. Cette recommandation aurait pu éviter le récit qui suit : la suspicion d’embolie pulmonaire chez un patient fit prescrire un scanner thoracique avec injection. L’interne prescripteur fut dérouté de sa tâche par une autre activité aux Urgences. Les radiologues firent le diagnostic d’embolie pulmonaire qu’ils consignèrent dans un compte-rendu inséré dans le dossier radiologique numérique du patient. Aucun médecin ne décrochera son téléphone pour ce diagnostic urgent, ni le prescripteur ni le réalisateur de l’examen. C’est l’épouse du patient qui aura la surprise, cinq jours plus tard, de recevoir par courrier dans sa boite aux lettres, le compte-rendu du scanner. C’est elle qui en avertira le service dans lequel son mari était pris en charge.
Les infirmières avaient instauré un temps quotidien dédié aux transmissions lors de chaque changement d’équipe. Le médecin hospitalier en 2023 n’est plus au chevet de son patient en continu. Les changements dans l’organisation du travail médical et la numérisation de l’information comportent l’émergence de nouveaux risques auxquels il nous faut remédier.
Un délai excessif dans l’annonce et une formulation peu claire sont sources d’incompréhension. Expliquer et convaincre en adaptant le discours médical au contexte émotionnel et aux capacités de comprendre de chacun devant des phénomènes souvent complexes. Il est essentiel de rappeler que toute prise en charge médicale ou chirurgicale comporte des aléas thérapeutiques sans qu’il y ait nécessairement un manquement aux règles de l’art ou une erreur. Toutes les complications ne sont pas fautives. L’annonce d’une mauvaise nouvelle, d’un dommage lié aux soins, d’un diagnostic sévère, la préparation de l’entourage d’un patient au décès probable, font l’objet de multiples formations et exigent de ne pas recourir à l’improvisation.
Les comportements inadaptés dans un lieu où l’objectif est de « prendre soin de… » génèrent un malaise chez les patients et leurs familles. Les réclamants déplorent ou ressentent parfois une forme d'intimidation ou tout ce qui pourrait être perçu comme un abus de pouvoir « s’il est encore là demain, on commande une ambulance et on le ramène chez vous ! » Les plaintes relèvent des injonctions déplacées, une absence de bienveillance, un défaut d’écoute des propos déplacés entendus dans les couloirs « j’ai fini de torcher untel… » génèrent chez les patients, incompréhension et désarroi.
CONCLUSION
Une parente témoigne et contribue à notre discussion dans une sorte de mise en garde : « la technicité de l’hôpital public a permis de développer le concept de chirurgie ambulatoire et de fast-track, avec succès pour le bien du patient et pour l’économie de notre système de santé. Mais la valence « prendre soin de… », c’est à dire le caractère humaniste des soins, est apparemment dévalorisée ».