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Les e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie

Cancer du sein et maladie professionnelle : quelles conséquences pour les soignants ?

Maria GONZALEZ

Séance du mercredi 08 novembre 2023 (Sénologie)

N° de DOI : 10.26299/f8na-fc22/emem.2023.31.05

Résumé

La part des facteurs professionnels dans les facteurs de risque de cancer du sein, même si elle est encore limitée par rapport aux autres facteurs de risque déjà identifiés, fait l’objet de plus en plus de recherches et publications. Parmi ces facteurs, l’exposition au travail en horaires alternants avec travail de nuit est celui qui est le plus souvent mentionné notamment chez les soignants et plus particulièrement chez les infirmières. Le CIRC a classé ce risque comme probablement cancérogène (groupe 2A) dès 2007. Le niveau de preuve est cependant encore limité en raison des difficultés à bien caractériser l’exposition au travail de nuit dans les différentes études épidémiologiques ainsi qu’à prendre en considération les facteurs de confusion. D’autres expositions telles que celles en lien avec les rayonnements ionisants sont classées comme cancérogènes sûres pour le cancer du sein mais pour des doses habituellement fortes souvent plus dans un contexte thérapeutique ou accidentel que professionnel.
D’autres facteurs notamment chimiques en particulier l’oxyde d’éthylène sont mis en cause chez les personnels ayant inhalé ce gaz par exemple dans le secteur de la stérilisation de matériel médical. Des études mettent en évidence un lien avec des perturbateurs endocriniens tels que des insecticides organo-chlorés, des polychlorobiphényls, des hydrocarbures polycycliques aromatiques ou certains métaux mais avec des niveaux de preuve encore insuffisants.
La question de la reconnaissance des cancers du sein en lien avec ces facteurs en particulier chez les soignants ayant travaillé en travail posté et de nuit pendant une longue période se pose et un cas a été récemment reconnu en France.
Toutefois, le système français de reconnaissance des maladies professionnelles exige des critères bien définis puisqu’en l’absence de tableau de maladie professionnelle pour le cancer du sein, il est nécessaire de prouver non seulement un lien direct mais aussi essentiel entre l’exposition et la maladie. Ceci suppose d’avoir, d’une part, un niveau de preuve élevé avec une exposition forte et d’autre part de ne pas avoir d’autres facteurs de risque extra professionnels prédominants. Il n’y a de ce fait que quelques cas qui ont pu être reconnus.
La création d’un tableau de maladie professionnelle spécifique pour le cancer du sein même si elle est demandée par certaines organisations syndicales reste actuellement difficile et complexe avec une procédure longue, le recours à une expertise collective afin de déterminer les critères scientifiques, la nécessité d’une volonté politique et un accord entre les organisations patronales et syndicales de salariés. Ainsi, par exemple, un nouveau tableau de maladie professionnelle vient d’être créé concernant le cancer de l’ovaire en lien avec l’exposition à l’amiante. Il s’agit pourtant d’un lien connu depuis de nombreuses années avec un niveau de preuve élevé et avec un cancérogène certain.
Les conséquences d’une reconnaissance plus large seraient, bien entendu, l’indemnisation des victimes ayant été exposées à un risque professionnel cancérogène mais également une meilleure sensibilisation des employeurs et de renforcer la nécessité de mesures de prévention primaire ou secondaire en milieu de travail. Le travail posté de nuit reste indispensable dans un secteur comme celui du soin et ne peut être interdit mais ses effets sanitaires délétères pour la santé peuvent être limités par des organisations plus adaptées tenant compte des durées et fréquence d’exposition, des horaires de prise et fin de poste, du respect des temps de récupération, d’un suivi plus adapté des soignants en santé au travail. Ce suivi devrait également intégrer la prévention des autres facteurs de risques de cancer du sein pouvant être évités en particulier comportementaux, hygiéno-diététiques ou de lutte contre la sédentarité.
Pr Maria GONZALEZ, Service de Pathologie Professionnelle et Médecine du Travail, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg