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Les e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie

Une nouvelle méthode d’enseignement de la chirurgie : la pratique délibérée

Philippe Liverneaux

Séance du mercredi 27 septembre 2023 (IRCAD-IWC au service de l'enseignement)

N° de DOI : 10.26299/xg6q-hb58/emem.2023.27.06

Résumé

L’erreur médicale est la troisième cause de mortalité dans les pays développés [Makary and Daniel, 2016]. Dans sa forme actuelle, la formation médicale initiale et continue ne permet pas d’y remédier.
Concernant la formation initiale, la diminution du temps de travail des internes a eu pour effet d’altérer la performance chirurgicale sans pour autant diminuer les erreurs liées à la fatigue [Hamid et al., 2014].

Concernant la formation continue, des recherches récentes ont confirmé que des personnes très expérimentées ne sont pas forcément plus compétentes que des personnes peu expérimentées. C’est ce qu’on appelle le piège de l’expérience : certains deviennent même moins compétents avec la simple expérience. La pratique seule n’est donc pas la clef de la performance.

Dans ces conditions, il est impératif de mettre en œuvre des moyens de formation complémentaires au compagnonnage et à la simple expérience afin de répondre à cet objectif de santé publique qu’est l’amélioration de la performance chirurgicale.

De nombreuses disciplines non médicales utilisent depuis longtemps la pratique délibérée afin d’améliorer leur performance [Erickson, 2015].
Elle consiste à définir un objectif et à faire preuve de motivation pour l’atteindre. L’apprenant doit recevoir un feedback sur ses résultats, ce qui permet de mettre en lumière ses points faibles et de trouver des pistes d’amélioration grâce à un expert extérieur. L’exercice doit être répété de nombreuses fois jusqu’à atteindre l’objectif. Ce processus d’apprentissage, qui a fait ses preuves en sport, en musique et aux échecs, nécessite un investissement personnel intense.

En sport, la pratique délibérée s’applique par exemple à un sprinter dont l’objectif est d’améliorer sa performance au départ de la course. Son entraîneur filme les 20 premiers mètres de la course et analyse plusieurs données : la poussée dans les plots de départ, l’accélération dans les 2 premières secondes, la cinétique et la distance entre chaque pas. L’entraîneur repère les points d’amélioration et propose des exercices permettant d’augmenter la performance du sportif. La répétition des exercices permet progressivement d’atteindre l’objectif.
En musique, un violoniste qui apprend un nouveau morceau commence par se représenter mentalement la mélodie qu’il souhaite produire. Il joue ensuite le morceau sur son instrument. Puis il écoute l’enregistrement avec son maître qui formule des critiques et propose des corrections. Enfin, il rejoue le morceau jusqu’à obtenir le résultat attendu.

Les joueurs d’échec de niveau mondial s’appuient sur des logiciels de résolution pour perfectionner leurs techniques.
Aujourd’hui, les chirurgiens pratiquent simplement la chirurgie. Ils ne mesurent pas leur performance, ne cherchent pas à améliorer leurs faiblesses, n’ont pas de feedback sur leur pratique, ne demandent pas l’avis d’un expert. Ils opèrent, voilà tout. L’expérience fera le reste, du moins le croient-ils.

Il est communément admis que la durée minimum de pratique délibérée pour devenir un expert dans n’importe quel domaine est de 10000 heures [Ericsson, 2015]. C’est cette durée qu’un violoniste professionnel atteint à l’âge de 20 ans après 15 ans de pratique. Un interne en chirurgie est supposé devenir autonome à la fin de sa formation. Or, chacun sait qu’il est loin d’être un expert en chirurgie.
Pourquoi ?
La première raison est qu’il commence sa formation en chirurgie très tard, en moyenne à 24 ans, après 6 ans d’études de médecine générale, au cours desquelles il n’a eu aucun contact avec la chirurgie ou presque. Lorsqu’il commence son internat, il est un parfait novice.

La seconde raison est liée à la qualité plus qu’à la durée de la formation. La durée maximum légale de travail hebdomadaire est de 48 heures dans l’Union Européenne et de 80 heures aux USA. Considérant 48 semaines de travail par an pendant 5 ans, un interne accomplit environ 11520 heures de travail dans l’Union Européenne et 19200 aux USA. Mais ce n’est pas parce qu’un interne assiste plusieurs dizaines de fois à la même intervention qu’il sera capable de la reproduire. En fait, la durée réelle de pratique délibérée durant l’internat est extrêmement réduite, voire inexistante.

A l’instar du sport, de la musique et des échecs, la pratique délibérée pourrait devenir une excellente méthode de formation initiale et continue des chirurgiens, sans exclure le compagnonnage ni la simple expérience.

Certains auteurs ont amélioré la performance de chirurgiens juniors qui opéraient des fractures du radius distal. La première étape a consisté à filmer leurs opérations, la seconde à leur attribuer un score OSATS (Objective Structured Assessment of Technical Skills), la troisième à leur rendre un feedback de leurs erreurs, et la dernière à leur donner des pistes d’amélioration. Cette étude a fait passer ces chirurgiens du niveau 3 au niveau 5 (maximum) de performance [Ducournau et al., 2021].

En conclusion, les chirurgiens devraient s’emparer de la pratique délibérée afin d’améliorer leur performance et diminuer le risque opératoire.

References
• Ducournau F, Meyer N, Xavier F, Facca S, Liverneaux P. Learning a MIPO technique for distal radius fractures: “Mentoring” versus “mere experience” versus “deliberate practice”. Orthop Traumatol Surg Res. 2021 (in press)
• Ericsson KA. Acquisition and maintenance of medical expertise: a perspective from the expert-performance approach with deliberate practice. Acad Med. 2015, 90: 1471-86.
• Hamid KS, Nwachukwu BU, Hsu E, Edgerton CA, Hobson DR, Lang JE. Orthopedic resident work-shift analysis: are we making the best use of resident work hours? J Surg Educ. 2014, 71: 216-21.
• Makary MA, Daniel M. Medical error-the third leading cause of death in the US. BMJ. 2016, 3:353:i2139.

François Ducournau1,2, Philippe Liverneaux1,3
1 Department of Hand Surgery, Strasbourg University Hospitals, FMTS, 1 avenue Molière, 67200 Strasbourg, France
2 Department of Orthopaedics and Traumatology, Hôpital de la Cavale Blanche, Brest, France
3 ICube CNRS UMR7357, Strasbourg University, 2-4 rue Boussingault, 67000 Strasbourg, France