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Les e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie

Transmission des savoirs

Alain-Charles MASQUELET

Séance du mercredi 11 décembre 2019 (Séance commune avec la SOFCOT - ANNULEE ET REPORTEE EN 2020)

N° de DOI : 10.26299/kc3b-0f77/emem.2019.37.01

Résumé

La question de la transmission des savoirs se pose, à l’heure actuelle, avec d’autant plus d’acuité que la fascination exercée par les technologies numériques a tendance à reléguer le passé comme source d’enseignement, en proclamant une révolution des savoirs sans précédent.

Cependant le débat présent sur le rôle de l’école et de l’université et sur la formation des jeunes générations en général n’est pas nouveau ; il peut se résumer à l’opposition radicale, au XIXème siècle, entre deux conceptions pédagogiques, celle du philosophe américain John Dewey et celle du fondateur de la sociologie, le français Emile Durkheim. Prééminence de l’expérience pratique, de l’apprentissage et du pouvoir d’agir dans des situations concrètes pour Dewey. Valorisation des savoirs constitués, sanctuarisation de l’enseignement et développement de l’esprit critique pour Durkheim.
La suprématie de l’utilitarisme anglo saxon, les effets de la mondialisation d’une économie ultralibérale et les formidables moyens offerts par le numérique ont renforcé, notamment en France, une suspicion déjà très ancienne envers la transmission des savoirs constitués, en un mot de la culture, qui implique une certaine vision du monde.

Quel crédit accorder en effet, argue t’on, à la transmission des savoirs dans une société en permanente évolution régie par l’adaptabilité des individus ? Car au nom de l’adaptation nécessaire à un monde dit hypermobile, au nom d’un reniement du passé qui ne recèlerait aucune leçon pour le présent, au nom enfin de la liberté de l’individu de s’auto-constituer, le but du pédagogue d’aujourd’hui ne serait plus de transmettre et d’enseigner mais de faciliter l’apprentissage. D’où l’importance quasi exclusive consacrée aux exposés, aux ateliers et aux travaux personnels., le tout facilité par la technologie numérique. Or le numérique, qui a littéralement envahi l’école et l’université, pose le défi d’une surabondance d’informations où manque le travail d’articulation, de structuration de la pensée et de hiérarchisation des connaissances pour constituer un savoir véritable. Ce qui conduit à poser la question « pourquoi continuer à transmettre ? » Parce que l’homme, primate inachevé, est un être de culture, la culture étant une médiation nécessaire entre le réel et nous, qui conditionne notre perception du monde. Sept pistes de renouvellement de lieux de médiation sont évoquées dans cet exposé :
Le travail permanent sur le langage, la promotion de la lecture livresque, la restauration de l’écriture manuelle, l’introduction de l’histoire de l’évolution des idées dans les cursus, la réhabilitation des enseignements magistraux, le souci du collectif et l’incarnation du verbe par l’enseignant, celui qui institue une médiation pour que l’élève puisse s’approprier le savoir transmis, un savoir élaboré et interprété. Car nul ne peut prétendre se construire individuellement et collectivement sans s’appuyer sur le passé pour le dé-passer et préparer l’avenir.