Quelle preuve a-t-on que la « médecine basée sur la preuve » apporte un réel bénéfice ?
Séance du mercredi 13 janvier 2010 (AVANCEES FUTURES EN CHIRURGIE)
Résumé
L’idée sous jacente à l’EBM (evidence based medecine), née dans les années 70 au Canada, est caractérisée par l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse de la meilleure preuve du moment pour la prise de décision liée à la prise en charge des patients (Sackett et al., 1996).On ne peut que souscrire à cette définition qui fait apparaître l’EBM comme une aide à la décision. Il n’est pas question, en effet, de remettre en cause la notion générale que la pratique médicale doit être fondée sur la meilleure preuve. A supposer que celle ci existe ! Dans cet esprit, l’EBM affiche un dispositif comportant l’évaluation critique de la littérature et une approche quantitative rigoureuse du fait médical.Ce souci de répondre aux critères de rigueur scientifique ayant pour modèle les disciplines de la mesure (mathématiques, physique, statistique) n’est pas nouveau. Déjà Cabanis, médecin et philosophe, partageait la conviction, au XIXème siècle, que la médecine aurait un jour le même statut épistémologique que la physique Laplacienne.Cependant, c’est dans les éléments structurant le dispositif de l’EBM actuel que surgit la controverse. En effet, l’un des credos de l’EBM est la prééminence accordée aux essais « randomisés ». Or l’examen des présupposés des essais randomisés montre que leur pouvoir épistémique est constamment surévalué par rapport aux études de cas.Restreindre l’EBM aux essais randomisés et aux méta-analyses de la littérature apparaît comme un réductionnisme dogmatique, dans un contexte d’incertitude auquel l’EBM prétend remédier. Ce n’est donc pas l’EBM en soi qui est en cause mais l’orientation limitée qu’on lui assigne et qui s’apparente à une forme d’intégrisme prônant l’objectivation à tout prix.De surcroît, les modèles de prise de décision fondés sur une approche quantitative ont montré leur limite, en particulier en économie. Les sources d’inspiration des théories de la décision, comme la théorie des jeux, cèdent la place, actuellement, à d’autres conceptions faisant intervenir la mémoire des cas passés, qui apparaît mieux adaptée au contexte médical, par une sollicitation des expériences individuelle et communautaire.En conclusion, une approche « de la meilleure preuve » fondée exclusivement sur le quantitatif trouve ses limites à la fois pratiques et épistémologiques. Car la prise en charge d’un patient individuel, notamment en chirurgie, implique désormais d’intégrer la dimension du soin qui excède la notion de traitement. Sans pour autant négliger les apports de l’évaluation objectivante, il apparaît essentiel de redonner une juste place à l’expérience acquise et à l’exercice « du bon bout de la raison » comme le disait Joseph Rouletabille.