Petit greffon et petite incision dans la transplantation hépatique à donneur vivant chez l’adulte : Transfert du risque du donneur vers le receveur
CHERQUI D
|
ADAM R
|
CASTAING D
|
SA CUNHA A
|
VIBERT E
|
SANCHEZ CABU S
Séance du mercredi 15 octobre 2014 (LA TRANSPLANTATION HÉPATIQUE Y COMPRIS LE DONNEUR VIVANT)
Résumé
Contrairement aux receveurs pédiatriques chez lesquels un greffon composé du lobe gauche du foie est suffisant, les adultes ont besoin de greffons de plus grande taille (classiquement 1% de leur poids corporel). Après des tentatives d’utilisation du foie gauche entier (segments 2, 3 et 4±1) dans les années 90, le prélèvement du foie droit, représentant 60 à 70% de la masse hépatique, s’est rapidement développé. Cette expérience s’est développée de façon majoritaire an Asie où l’utilisation de donneurs en état de mort encéphalique a été longtemps interdite, et reste aujourd’hui très limitée. Ces techniques ont également été utilisées à une plus faible échelle dans les pays occidentaux, en raison de la pénurie croissante d’organes provenant de donneurs décédés.La sécurité du donneur est bien sur la priorité. Malgré la capacité unique du foie à régénérer, la morbidité du prélèvement hépatique sur donneur vivant se situe autour de 20% et surtout une mortalité de 0.1 à 0.5% a été rapportée. Les rares décès sont survenus essentiellement après le prélèvement du foie droit. Ces éléments ont conduit à un déclin de la greffe à donneur vivant adulte aux Etats-Unis et en Europe. L’aggravation de la pénurie d’organes pourrait cependant entrainer un regain d’intérêt dans ces pays. Par ailleurs, l’hépatectomie sur donneur vivant nécessite une longue incision sous costale droite, plus ou moins étendue à gauche, qui participe à la morbidité de l’intervention. Au cours des 20 dernières années, la chirurgie mini-invasive a été développée dans tous les domaines de la chirurgie abdominale et le prélèvement rénal sur donneur vivant par voie laparoscopique est devenu le standard. Certains chirurgiens ont exploré cette voie pour le prélèvement hépatique sur donneur vivant.Nous avons réalisé le premier prélèvement hépatique laparoscopique pour transplantation pédiatrique à Paris en 2001. L’intervention consiste à prélever le lobe gauche (segments 2 et 3) chez de jeunes parents en bonne santé par voie laparoscopique pure et avec extraction du greffon par voie sus pubienne. Nous avons rapporté les 2 premiers cas en 2002 (1) puis une série de 16 cas en 2006 (2) et l’expérience française regroupe actuellement 70 cas (3). A ce jour, la procédure reste limitée à quelques centres Villejuif, Paris, Seoul (4), New York (données non publiées). Aucun décès n’a heureusement été rapporté, la morbidité des donneurs a été minime et les greffons ainsi prélevés ont donné des résultats équivalents à ceux obtenus par voie ouverte. Dans le cas de la greffe adulte, la situation est très différente du fait de la plus grande masse parenchymateuse rendant plus difficile le prélèvement par voie laparoscopique. En 2006, l’équipe de Nothwestern University à Chicago, a rapporté l’utilisation d’une méthode hybride de prélèvement de foie droit pour l’adulte (4). Celle-ci consistait en une mobilisation hépatique coelioscopique suivie d’une courte incision médiane pour l’hépatectomie proprement dite. Cette technique a également été utilisée, entre autres, à Morioka au Japon (5), à Columbia University de New York (6) et plus récemment dans notre centre. Cette technique est applicable au prélèvement du foie gauche ou du foie droit. Il n’est pas possible de connaitre le nombre exact d’interventions réalisées, par manque de données publiées, mais on peut estimer ce chiffre à environ 200. Il y a eu un décès possible aux Etats-Unis en 2010. D’autres auteurs ont également poursuivi la méthode totalement laparoscopique pour l’adulte (5, 8). Parallèlement, dans un effort de réduction du risque chez le donneur, la règle du rapport poids du greffon/poids du receveur a été remise en question et des succès ont été obtenus pour des rapports aussi bas que 0.6% chez des receveurs sélectionnés ayant un MELD < 25 et peu ou pas d’hypertension portale : intentional small for size (« petit greffon intentionnel »). Une modulation du flux portal par ligature de l’artère splénique, splénectomie ou shunt portal cave partiel, est utilisée afin de prévenir les lésions liées à l’hyper débit portal. Il a été ainsi possible de contrôler le syndrome du « petit greffon » et d’excellents résultats ont été obtenus permettant la greffe de foies gauches chez un nombre croissant d’adultes. Ces prélèvements de foie gauche entier sont particulièrement adaptés à la voie d’abord hybride ou laparoscopique pure (5).De février 2013 à septembre 2014, 11 prélèvements hépatiques sur donneur vivant destinés à un receveur adulte ont été réalisés à l’Hôpital Paul Brousse par une méthode hybride : mobilisation du foie et dissection pédiculaire par voie coelioscopique suivie de l’hépatectomie proprement dite par une incision médiane sus omblicale de 14 à 16 cm. 9 d’entre eux ont consisté dans le prélèvement du foie gauche accompagné de la veine hépatique médiane. La morbidité chez les donneurs a été de 10%, comportant uniquement des complications de grade I ou II. Aucun donneur n’a été transfusé et aucun cas d’insuffisance hépatique observé. La durée d’hospitalisation médiane a été de 6 jours (3-8). Tous les donneurs ont eu un scanner avant leur sortie et aucune réhospitalisation n’est intervenue. Chez les receveurs, le rapport moyen poids du greffon/poids du patient était de 0.74% (0.48-0.9%) et la survie été de 100%. Deux retransplantations ont eu lieu, pour un small for size syndrome et une thrombose de l’artère hépatique (1 cas cacun). En conclusion, l’utilisation des techniques mini-invasives pour le prélèvement de greffons hépatiques sur donneur vivant reste limitée à quelques centres hautement spécialisés. L’approche totalement laparoscopique pourrait devenir le standard pour la greffe pédiatrique de lobes gauches. Pour l’adulte, l’abord hybride ainsi que l’utilisation de greffons gauches sont des voies prometteuses. L’avenir de la transplantation hépatique à donneur vivant pourrait être dans la réduction de la taille du greffon et la réduction de la taille de l’incision pour réduire la morbidité du donneur : « Petit Greffon – Petite Incision ». Ceci nécessite une haute technicité chirurgicale et une grande expérience du centre dans la prise en charge médico-chirurgicale des receveurs.Commentateur : Jacques BELGHITI (Paris)