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Les e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie

Nouvelles indications de pancréatectomie : les sujets à haut risque et les précurseurs du cancer

SAUVANET A

Séance du mercredi 12 février 2014 (CHIRURGIE DU CANCER PANCRÉATIQUE : LUEURS D'ESPOIR)

Résumé

Le mauvais pronostic de l’adénocarcinome du pancréas a conduit à l’identification de certains patients à risque de développer ce cancer et candidats à une chirurgie « préventive ». Il existe 3 principales circonstances pouvant faire indiquer cette chirurgie préventive :1) le cystadénome mucineux (CM).Cette tumeur kystique, touchant quasi exclusivement la femme, souvent développée dans le pancréas gauche, est de diagnostic facile sur les données de l’imagerie et de l’échoendoscopie avec ponction (dosage intra kystique d’ACE et cytologie). On peut rarement avoir des difficultés diagnostiques avec un pseudo kyste. Le risque de dégénérescence des CM est estimé entre 20 et 30%, mais n’existe que pour les CM de > 4 cm et/ou comportant des bourgeons intra kystiques (1). Certains CM se prêtent à une exérèse préservant du parenchyme (énucléation, pancréatectomie médiane) pour limiter les séquelles de la chirurgie. Sinon, le geste le plus fréquent est une pancréatectomie gauche. Chez des patients âgés ou à haut risque, ayant uncystadénome < 4 ou 5 cm et sans nodule mural, une surveillance est raisonnable2) Les syndromes génétiques prédisposant au cancer du pancréasOn distingue le cancer pancréatique familial (avec des mutations génétiques encore mal identifiées) et d’autres syndromes avec une mutation identifiée (mutation BRCA2, syndrome de Lynch, Syndrome de Peutz-Jeghers, mutations PRSS1 et SPINK1 associée à une pancréatite héréditaire, mutation p16 et mélanome familial) (2). On s’accorde à proposer un dépistage dans le cancer pancréatique familial chez les les apparentés au 1er degré d’un malade avec au moins 2 cas dans la famille (Canto 2013). Le risque de développer un cancer est augmenté d’un facteur 6 en cas de cancer chez 2 apparentés en 1er degré (risque global au cours de l’existence de 10%) et de 32 en cas de cancer chez 3 apparentés au 1er degré (risque global = 40%). Dans les syndromes avec mutation identifiée, on dépiste les apparentés au 1er degré des malades (2).Le dépistage s’appuie sur l’anamnèse (nombre de cas, âge de survenue chez les apparentés) et les examens morphologiques (principalement IRM et échoendoscopie), qui recherchent des modifications parenchymateuses suggestives de l’existence de PanIN ou canalaires suggestives de l’existence de TIPMP. Selon l’importance et la localisation de ces anomalies, on discute soit de l’exérèse de lésion macroscopique (TIPMP), soit d’une biopsie (sous échoendoscopie ou courte pancréatectomie caudale préférentiellement par laparoscopie). L’identification de lésion à risque (dysplasie sévère, PanIN 3), en particulier sur la tranche de section, peut conduire à une réintervention pour réaliser une pancréatectomie réglée éventuellement totale.Toutefois, il persiste de nombreuses questions relatives à l’âge de début de lasurveillance, son rythme, et les anomalies morphologiques devant faire indiquer d’une biopsie ou d’une chirurgie3) Tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP).Elles représentent en pratique l’essentiel de la chirurgie préventive. Les indications se sont limitées aux patients chez lesquels le risque de dégénérescence apparait le plus élevé, les autres patients étant surveillés.Les TIPMP atteignant le canal principal constituent une indication largement admise (1). L’exérèse enlève la partie du pancréas atteinte surtout par des lésions de dysplasie modérée ou sévère (on estime à 5 ans environ le délai nécessaire au développement d’un cancer à partir d’une dysplasie modérée). En cas de dysplasie légère sur le canal principal, il n’y a pas de consensus. L’exérèse doit préserver la partie du pancréas non atteinte, qui est en général souvent à gauche. L’exérèse des TIPMP du canal principal se heurte cependant à 3 obstacles :a) le risque (environ 20%) de surestimer le diagnostic de TIPMP du canalprincipal en la confondant avec une dilatation « passive » (mucus) à partird’une TIPMP des canaux secondaires.b) le caractère parfois très étendu de l’exérèse, même guidée par unehistologie extemporanée, qui peut conduire à une pancréatectomie subtotale ou totale avec un risque important de diabète induitc) l’absence d’identification préopératoire de certaines formes « favorables »,non susceptibles de dégénérer, ce qui pourrait être utile chez des patientsà espérance de vie réduite ou à haut risque opératoire.Les TIPMP des canaux secondaires sont en règle surveillées car le risque dedégénérescence à 5 ans est d’environ 15% (1). La survenue de pancréatite aiguë n’est pas prédictive de cancer pour ce sous-type de TIPMP. Des critères morphologiques sont associés à un risque élevé de cancer (nodules muraux surtout si > 3-5 mm d’épaisseur, et à un moindre degré taille de la lésion > 30 mm). De plus en plus actuellement, c’est surtout le contenu des canaux secondaires (nodules muraux, marqueurs biochimiques dont l’ACE intra kystique, autres marqueurs) qui est étudié pour affiner les indications.Au total, la chirurgie préventive du cancer du pancréas se heurte à des difficultés diagnostiques (identification des patients à risque), et au risque propre de cette chirurgie (mortalité, morbidité immédiate, conséquences fonctionnelles à long terme avec en particulier le risque de diabète de novo). Surtout, ces patients à risque identifié ne représentent qu’une minorité des patients développant un adénocarcinome du pancréas.Références :1) Tanaka M, et al. International consensus guidelines 2012 for the management of IPMN and MCN of the pancreas. Pancreatology 2012; 12 3):183-97.2) Canto MI et al. International Cancer of the Pancreas Screening (CAPS) Consortium summit on the management of patients with increased risk for familial pancreatic cancer. Gut 2013; 62:339–347.Discussant : Daniel Jaeck (Starsbourg)