Recherche et pratique quotidienne de la chirurgie au temps du jumeau numérique / Surgical research and day-to-day practice at the time of digital twin
Seance of wednesday 23 march 2022 (Metaverse pour les jumeaux numériques des patients. Les possibilités offertes en chirurgie par la puissance de la 3D en temps réel)
DOI number : 10.26299/6dbf-qf79/emem.2022.10.05
Abstract
De par sa nature numérique, le jumeau est la somme d’informations sans limites. La réalité virtuelle le concrétise sous la forme de multiples avatars, dont celle d’une anatomie offerte en 3D au chirurgien. Il s’inscrit dans la continuité de la chirurgie occidentale, qui s’est construite par la possibilité de voir l’intérieur caché du corps, contre les interdits. Ce jumeau permet de tester des hypothèses opératoires.
L’augmentation de l’information constituant le jumeau intégrera la biologie de la tumeur, des susceptibilités topographiques de resténose artérielle, les gènes d’aptitude à la cicatrisation, l’état de leur régulation en fonction du statut nutritionnel. Si elle s’ouvre à l’interdisciplinarité, le jumeau pourra intégrer des informations globales du patient dont la chirurgie a déjà envisagé l’intérêt pour la réussite opératoire.
Par nature, le jumeau numérique est transportable dans l’espace et le temps. Il sera accessible à tous, ou au contraire réservé au colloque singulier patient-chirurgien, ou encore à des décideurs publiques ou privés. Ce jumeau pourra subir un vieillissement accéléré pour détecter les failles à venir. et les prévenir.
Pour la chirurgie plus spécifiquement, le jumeau permettra de modéliser l’acte opératoire avant, pendant et après sa réalisation. Pour la chirurgie des dysfonctions érectiles, nous y sommes déjà. La visualisation de l’anatomie veineuse pelvienne, très variable d’un individu à l’autre, permet de planifier l’intervention, d’en prévoir les succès et les échecs. Au cours de l’intervention, la superposition des images de l’angioscanner pré-opératoire et de celles du geste en train d’être réalisé facilite les procédures aortiques complexes.
L’efficacité et la sécurité du geste opératoire s’en trouvent renforcées. De manière certaine, la boite noire qui contiendra le déroulé de l’intervention chirurgicale, sera disponible à des fins d’enseignement et judiciaires.
Cette transparence et cette prédictibilité renouvelleront le consentement du patient. Le patient aura accès à chaque étape et tous les enjeux de son intervention.
Le jumeau numérique permettra de redessiner l’offre de soin, à l’heure des déserts de santé, mais aussi des risques judiciaires et financiers. Téléconsultation, téléchirurgie experte. Ces transportations du soin enrichies de données et d’assistances numériques diverses, supplanteront en performance une consultation en présentiel. L’économie du soin sera bouleversée : le savoir et le pouvoir de soigner seront définitivement déplacés.
Le soin quotidien apporté au quatrième âge pourra enfin contourner l’impasse économique actuelle générée par les coûts du travail humain.
Nous vivons peut-être la fin de l’ère de la clinique, au sens hippocratique de l’examen du patient, illustré par les « Urgences abdominales » d’Henri Mondor. D’ailleurs, les patients se plaignent que leurs médecins ne les examinent plus. Le jumeau numérique permettra, par la multiplicité des informations qu’il concentrera, d’appréhender le patient dans les multiples influences de son habitus, dans son écologie.
Le jumeau numérique permettra à la médecine de s’affranchir de l’une de ses limites actuelles, la difficulté à prendre en compte les signaux faibles et les facteurs ténus qui modèlent le corps dans le temps long.. Le jumeau numérique sera promené dans le temps, le faisant vieillir à loisir, soumis à facteurs ténus. Une nouvelle nosologie naîtra, des pathologies induites par l’alimentation, l’exposition à des agents physiques à peine détectables mais influents, des contraintes psychiques, etc.
Faut-il toujours payer le prix de la transparence et des transgressions qu’elle suppose ? Quelle écologie sociétale le jumeau numérique nous promet-il ?
1. La délégation de responsabilité. La sécurité du patient repose historiquement sur la liberté de décision du chirurgien, étroitement associée à sa responsabilité, au sens étymologique des racines latines du mot : la capacité de peser les choses, donc à ses connaissances théoriques et à sa connaissance du patient. Or, l’algorithme, généré à partir d’une masse d’information, crée paradoxalement une opacité. Son utilisation fait perdre de vue l’information originelle et les priorités qui l’ont déterminé. L’opérateur ne sera ni « sachant » ni « décidant, » il sera « exécutant ». Il ne sera plus res-pons-able.
La boite noire du bloc opératoire sera associée à une norme de comportements professionnels. La promesse d’une intervention normée heurtera la liberté de choisir contre la norme. Les accidents opératoires sont heureusement rares, et la conformation à la norme contre la diversité du vivant génèrera elle aussi une sinistralité. Qui voudra prendre le risque d’aménager un espace pour cette liberté de jugement, particulièrement au moment tendu d’une chirurgie qui se passe mal, avec sur les épaules la pression des sanctions ?
2. Que sera la société du jumeau numérique et de cette accumulation d’informations totalisantes sur un individu ? Dans cette redistribution des savoirs et des pouvoirs, que restera-t-il de la personne humaine telle que nous la concevons ?
3. La biodiversité de la pensée humaine. Traiter une grande somme d’informations signifie créer des hiérarchies, des algorithmes qui auront une force prescriptible beaucoup plus comminatoires . Pour la recherche, la créativité scientifique risque paradoxalement de souffrir de ce monde transparent, hypernormé. A la perte d’autonomie de décision du chirurgien correspondra l’effacement de la liberté des hypothèses contradictoires.
En résumé, le jumeau numérique sera le lieu de bouleversements considérables de la pratique médicale. L’outil comme le modèle de médecine qu’il véhicule s’imposeront du fait de leur emprise sur la société, économique, comportementale, générationnelle.
La recherche, qui se nourrit de la liberté de penser hors les normes, risque de ne plus être un idéal comme elle l’a été en Occident depuis le XVIième Siècle, mais plutôt un comportement à risque, une intolérable entorse au principe de précaution.
Mots clés : metavers, jumeau numérique, recherche chirurgicale, éthique
Eric Allaire, chirurgien vasculaire et endovasculaire, Hôpital Américain de Paris, Hôpital Privé Geoffroy Saint Hilaire.
This is a review of what offers in the future for surgery the common use of digital twins in a 3D dimension: better knowledge of anatomy with volume rendering, mimetic of interventions, tailored and personalized programs preparing improved surgical tools and precise handling. Consequencies on the ethics, practice and research are discussed here with positive and negative comments on the issues of this true revolution in medical practice
Key words: metavers, digital twin, surgical ethics, surgical research
L’augmentation de l’information constituant le jumeau intégrera la biologie de la tumeur, des susceptibilités topographiques de resténose artérielle, les gènes d’aptitude à la cicatrisation, l’état de leur régulation en fonction du statut nutritionnel. Si elle s’ouvre à l’interdisciplinarité, le jumeau pourra intégrer des informations globales du patient dont la chirurgie a déjà envisagé l’intérêt pour la réussite opératoire.
Par nature, le jumeau numérique est transportable dans l’espace et le temps. Il sera accessible à tous, ou au contraire réservé au colloque singulier patient-chirurgien, ou encore à des décideurs publiques ou privés. Ce jumeau pourra subir un vieillissement accéléré pour détecter les failles à venir. et les prévenir.
Pour la chirurgie plus spécifiquement, le jumeau permettra de modéliser l’acte opératoire avant, pendant et après sa réalisation. Pour la chirurgie des dysfonctions érectiles, nous y sommes déjà. La visualisation de l’anatomie veineuse pelvienne, très variable d’un individu à l’autre, permet de planifier l’intervention, d’en prévoir les succès et les échecs. Au cours de l’intervention, la superposition des images de l’angioscanner pré-opératoire et de celles du geste en train d’être réalisé facilite les procédures aortiques complexes.
L’efficacité et la sécurité du geste opératoire s’en trouvent renforcées. De manière certaine, la boite noire qui contiendra le déroulé de l’intervention chirurgicale, sera disponible à des fins d’enseignement et judiciaires.
Cette transparence et cette prédictibilité renouvelleront le consentement du patient. Le patient aura accès à chaque étape et tous les enjeux de son intervention.
Le jumeau numérique permettra de redessiner l’offre de soin, à l’heure des déserts de santé, mais aussi des risques judiciaires et financiers. Téléconsultation, téléchirurgie experte. Ces transportations du soin enrichies de données et d’assistances numériques diverses, supplanteront en performance une consultation en présentiel. L’économie du soin sera bouleversée : le savoir et le pouvoir de soigner seront définitivement déplacés.
Le soin quotidien apporté au quatrième âge pourra enfin contourner l’impasse économique actuelle générée par les coûts du travail humain.
Nous vivons peut-être la fin de l’ère de la clinique, au sens hippocratique de l’examen du patient, illustré par les « Urgences abdominales » d’Henri Mondor. D’ailleurs, les patients se plaignent que leurs médecins ne les examinent plus. Le jumeau numérique permettra, par la multiplicité des informations qu’il concentrera, d’appréhender le patient dans les multiples influences de son habitus, dans son écologie.
Le jumeau numérique permettra à la médecine de s’affranchir de l’une de ses limites actuelles, la difficulté à prendre en compte les signaux faibles et les facteurs ténus qui modèlent le corps dans le temps long.. Le jumeau numérique sera promené dans le temps, le faisant vieillir à loisir, soumis à facteurs ténus. Une nouvelle nosologie naîtra, des pathologies induites par l’alimentation, l’exposition à des agents physiques à peine détectables mais influents, des contraintes psychiques, etc.
Faut-il toujours payer le prix de la transparence et des transgressions qu’elle suppose ? Quelle écologie sociétale le jumeau numérique nous promet-il ?
1. La délégation de responsabilité. La sécurité du patient repose historiquement sur la liberté de décision du chirurgien, étroitement associée à sa responsabilité, au sens étymologique des racines latines du mot : la capacité de peser les choses, donc à ses connaissances théoriques et à sa connaissance du patient. Or, l’algorithme, généré à partir d’une masse d’information, crée paradoxalement une opacité. Son utilisation fait perdre de vue l’information originelle et les priorités qui l’ont déterminé. L’opérateur ne sera ni « sachant » ni « décidant, » il sera « exécutant ». Il ne sera plus res-pons-able.
La boite noire du bloc opératoire sera associée à une norme de comportements professionnels. La promesse d’une intervention normée heurtera la liberté de choisir contre la norme. Les accidents opératoires sont heureusement rares, et la conformation à la norme contre la diversité du vivant génèrera elle aussi une sinistralité. Qui voudra prendre le risque d’aménager un espace pour cette liberté de jugement, particulièrement au moment tendu d’une chirurgie qui se passe mal, avec sur les épaules la pression des sanctions ?
2. Que sera la société du jumeau numérique et de cette accumulation d’informations totalisantes sur un individu ? Dans cette redistribution des savoirs et des pouvoirs, que restera-t-il de la personne humaine telle que nous la concevons ?
3. La biodiversité de la pensée humaine. Traiter une grande somme d’informations signifie créer des hiérarchies, des algorithmes qui auront une force prescriptible beaucoup plus comminatoires . Pour la recherche, la créativité scientifique risque paradoxalement de souffrir de ce monde transparent, hypernormé. A la perte d’autonomie de décision du chirurgien correspondra l’effacement de la liberté des hypothèses contradictoires.
En résumé, le jumeau numérique sera le lieu de bouleversements considérables de la pratique médicale. L’outil comme le modèle de médecine qu’il véhicule s’imposeront du fait de leur emprise sur la société, économique, comportementale, générationnelle.
La recherche, qui se nourrit de la liberté de penser hors les normes, risque de ne plus être un idéal comme elle l’a été en Occident depuis le XVIième Siècle, mais plutôt un comportement à risque, une intolérable entorse au principe de précaution.
Mots clés : metavers, jumeau numérique, recherche chirurgicale, éthique
Eric Allaire, chirurgien vasculaire et endovasculaire, Hôpital Américain de Paris, Hôpital Privé Geoffroy Saint Hilaire.
This is a review of what offers in the future for surgery the common use of digital twins in a 3D dimension: better knowledge of anatomy with volume rendering, mimetic of interventions, tailored and personalized programs preparing improved surgical tools and precise handling. Consequencies on the ethics, practice and research are discussed here with positive and negative comments on the issues of this true revolution in medical practice
Key words: metavers, digital twin, surgical ethics, surgical research