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The e-mémoires of the Académie Nationale de Chirurgie

Des Dieux et des Hommes : approches de la maladie en Afrique et en Europe

REINBERG O

Seance of wednesday 15 october 2014 (SECTION HUMANITAIRE : Regards croisés sur la chirurgie humanitaire)

Abstract

Nous allons soigner des patients - des enfants en ce qui me concerne - et enseigner notre médecine, dans l'idée généreuse d’apporter une guérison bienfaisante selon notre système de référence culturelle, sans nous enquérir auparavant de la représentation de la maladie, des traumatismes et des malformations des populations que nous pensons aider. Une bonne compréhension du regard que les autres sociétés portent sur la maladie et la mort est indispensable pour aider les patients et éviter des erreurs.La médecine occidentale a d’abord été une médecine de la fatalité. Il faut attendre Jean Fernel (1567) pour distinguer l’affection « maladie » de l’affection « symptôme » et que la maladie commence à ne plus être considérée comme une punition divine. Elle devient l’expression d’un désordre du corps que le médecin tente de réparer. Cependant parallèlement aux progrès de cette médecine, on assiste à un recours grandissant aux médecines alternatives.Dans les sociétés animistes, le patient a toujours une part de responsabilité dans ce qui l’affecte: soit il n’a pas identifié celui qu’il a offensé et ne peut donc combattre sa maladie, soit il s’adresse à une instance de guérison moins puissante que celle qui agit contre lui. La médecine n’est qu’un maillon de la chaîne de guérison. Il en va de même des malformations qui peuvent être bénéfiques dans un autre référentiel culturel. Il est important pour cela de connaitre les cosmogonies locales : le panthéon de l’Afrique sub-tropicale est très proche du panthéon grec : les mêmes dieux avec les mêmes symboles. Certains enfants porteurs de malformations sont les messagers des dieux comme le sont Hermès ou Isis. On interprète le message, le délivre à la société et décide du sort de l’enfant malformé. Ainsi le Dieu Tohossou, « Le Roi des eaux », envoie aux hommes des enfants malformés avec des polydactylies. Chaque roi d'Abomey a eu un ou plusieurs de ces messagers pour lesquels on a construit des temples. Kpélou, fils du roi Agadja avait vingt doigts et prédisait l'avenir. Imaginez le gâchis si un chirurgien venait et décidait de réséquer les doigts surnuméraires !!La hernie ombilicale est beaucoup plus fréquente en Afrique qu’en Europe. Il n’y a qu’à voir la statuaire africaine. Elle est considérée comme un signe de fertilité (« le troisième sexe »). Faire une cure d’hernie ombilicale dans certaines sociétés équivaut à une castration !! Mieux vaut le savoir.Il faut également porter un regard critique sur ce que l’on enseigne : on trouve sur les marchés africains des « poires ». Peu d’occidentaux savent les reconnaître. Ce sont des poires à lavement très rudimentaires, mais très efficaces. Le lavement des petits enfants est pratiqué par toutes les mères. Aller expliquer comment on fait un lavement à un enfant porteur de maladie de Hirschsprung fait bien rire les mamans. Elles savent faire cela mieux que nous et que les mamans européennes.Ces quelques exemples ont pour but de nous convaincre de l’intérêt qu’il y a à s’enquérir du mode de pensée et du regard que les autres cultures portent sur les maladies et les malformations. J’ai vu trop d’occidentaux imbus de notre connaissance médicale, inconscients du savoir et des cultures locales, commettre des erreurs et ne pas se rendre compte qu’ils étaient la risée des locaux. Leurs messages – par ailleurs excellents - n’étaient de ce fait pas crédibles. Il me semble donc souhaitable de se pencher avec humilité sur les croyances et les cultures des régions que nous visitons, car leurs attentes ne sont pas forcément les nôtres.Commentateur : Claude Huguet (Paris)