Fr | En
The e-mémoires of the Académie Nationale de Chirurgie

Pas de titres de sujets

Seance of friday 24 march 2017 (Le ganglion et le cancer. Le curage ganglionnaire a-t-il encore un intérêt ? SÉMINAIRE ANNUEL DE CANCÉROLOGIE CHIRURGICALE ANC avec la participation de la SFCO (Société française de Chirurgie Oncologique) )

Abstract

De tous temps la représentation de la « tumeur » a suscité de la curiosité, de la peur, du fantasme et la question implicite au diagnostic est devenu : comment « l’éliminer » ? Rien n’est plus concret, plus radical que la résection chirurgicale, mais le chemin fut très long pour la reconnaître comme un traitement curateur, ou tout au moins prétendu tel jusqu’à la confirmation que donne l’examen anatomo-pathologique. Ce qui suit ne peut-être qu’un survol historique très incomplet, mais quelques faits marquants méritent d’être évoqués.Le premier traité de chirurgie nous vient de l’Egypte ancienne ; le Papyrus Ebers - Edwin Smith est l’un des premiers documents humains qui fait référence au cancer [1]. Les notions d’aseptie et d’anesthésie étaient déjà présentes dans les bas reliefs et les textes hiéroglyphes. En mésopotamie la première représentation du foie était d’une exactitude remarquable [2]. Les études anatomiques « fondamentales », dont celles de Léonard de Vinci (1452- 1519) et André Vésale (1514-1564) vont servir de base aux premières interventions chirurgicales [3-5].En Europe, le marasme du moyen âge et les contraintes imposées par les croyances, l’église et l’inquisition, freinent l’élan des anciennes civilisations. Ambroise Paré publie ses œuvres complètes en 1575 ; elles occupent une place immense dans l’histoire de la chirurgie, et de la langue Française [6]. En Angleterre, les « chirurgiens-barbiers » disparaissent en 1745 avec la création du « Royal College of Surgeons ». En France, malgré les « Lettres Patentes » de Louis XIV (1699) qui mettent au clair les règlements concernant la Communauté des Chirurgiens de Saint Côme, suivies de celles éditées sous le règne de Louis XV (1754 et 1768), le XVIIIème siècle voit encore l’exercice d’une multitude de charlatans [7-10]. Je renvoie à la remarquable conférence du professeur Benoît Lengelé, publiée dans les mémoires de l’académie de Chirurgie en 2006 [8]. L’« Académie Royale de Chirurgie » créée en 1731 [10] sera dissoute à la révolution et il faudra attendre 1843 pour la voir renaître sous le nom de « Société Nationale de Chirurgie » (qui devient l’Académie de Chirurgie en 1935). Il y a fort longtemps, quelques chirurgiens eurent l’idée qu’il était possible d’enlever une tumeur lorsqu’elle était apparente, ou « mobile » : « ce qui est mobile est résécable » John Hunter (1728-1793) [11]. Les résections complexes furent imaginées et dessinées à l’encre de chine avant d’être réalisées [12]. Il est frappant de constater qu’au cours des XVII° et XVIII° siècles, les manuscripts Japonais décrivent les premières résections chirurgicales. De magnifiques parchemins sont visibles sur le site de la bibliothèque nationale du NIH [13]. Hanaoka Seishu (1760-1835) est le premier chirurgien à réaliser la résection de cancers sous anesthésie. L’antiseptie (Joseph Liste - 1827-1912) et l’anesthésie furent les deux percées technologiques qui permirent l’essor de la chirurgie. Lister publia les résultats de ses premiers essais en 1867 dans le "Lancet " sous le titre : "Le principe de l'asepsie dans la pratique de la chirurgie". En Europe, les premières résections carcinologiques sont attribuées à Christian Albert Théodore Billroth (oesophagectomie (1872), laryngectomie (1874), Gastrectomie (1894)). Ce chirurgien viennois, grand ami de Brahms et Czerny, chef invité à la direction de l’Orchestre de Zurich, est aussi celui qui en 1855 a décrit la filiation adénome – cancer colorectal et le premier à imaginer un cursus de formation pour les jeunes chirurgiens ; en 1876 il rapportait 33 résections rectales pour cancer [11].Le cancer du sein fut le premier « modèle » de la chirurgie carcinologique « conservatrice » et « reconstructrice », et le premier modèle d’essai contrôlé concernant le traitement adjuvant [14]. Les résultats publiés par Bernard Fisher et Umberto Veronesi dans le New England Journal of Medecine, actualisés à 10 ans et 20 ans, ont marqué l’histoire de la chirurgie conservatrice du cancer du sein et celle des associations thérapeutiques [15, 16]. L’ »Evidence Based Medecine » (David Sackett -1934-2015) [17] a marqué la fin des dogmes anciens, répandus et acceptés de tous, appliqués par habitude et sans remise en question, fondés sur des « convictions » subjectives ; cependant l’impact clinique des essais randomisés constitue l’objectif principal : « What is clinically relevant is more important of just statistically significant in power analysis”. Le premier essai Français qui a changé les pratiques était consacré à la chirurgie du cancer gastrique : la gastrectomie subtotale distale était recommandée pour les cancers de l’antre et la gastrectomie totale était inutile, sauf en cas de linite gastrique [18]. Au fil du temps, l’acte opératoire est devenu une « variable », que le caractère multicentrique peut gommer. La majorité des essais concernent aujourd’hui les traitements combinés. La consultation du site « clinicaltrial.gov » montre cependant que les essais qui comportent un acte opératoire, restent les moins fréquents.La coelioscopie est venue bouleverser les pratiques (« the second French revolution »), de la grossesse extra-utérine (M.A Bruhat et H. Manhes – 1972) à la cholecystectomie (Philippe Mouret – 1987) [19] puis la résection des cancers (1ère colectomie et 1ère gastrectomie coelio-assistées pour cancer – 1991), avec une validation basée sur l’équivalence des résultats carcinologiques [20]. Un article remarquable publié en 2012 dans la revue PlosOne a montré l’évolution de l’opinion des chirurgiens colorectaux concernant la voie d’abord laparoscopique [21]. Le cancer du rectum a été, comme le cancer du sein avant lui, « un modèle d’évolution thérapeutique » de l’amputation abdomino-périnéale à la conservation sphinctérienne, la réduction de la marge sous tumorale (2 cm), la re-découverte du mesorectum et la préservation des nerfs, la laparoscopie (le robot…) et l’approche coelioscopique et transanale combinées [22, 23].La technologie a offert une accélération prodigieuse au cours des 30 dernières années. La reconstruction tridimensionnelle des organes a fait progresser la « programmation » de l’acte opératoire. Les 3 techniques de base de l'anatomie à savoir la transparence, la rotation et la section transversale sont illustrées dans un écorché inspiré de l'homme de Vitruve de Leonard De Vinci, primé par la célébrissime revue Science en 2006 au cours du challenge de la visualisation scientifique (« professor Caryn Babaian uses art as a gateway to science ») [24, 25]. La visualisation 3D peut encore faire progresser la chirurgie mini-invasive. La robotique, malgré son coût, a inondé le « marché » chirurgical… Malgré le propos d’ Albert Einstein « J'appréhende le jour ou la technologie passera au delà de nos comportements humains. Le monde alors, ne générera plus que des idiots », nous devons soutenir l’évolution technologique en maitrisant ses conséquences. L’apprentissage par la simulation est devenu indispensable pour les jeunes chirurgiens [26, 27]. La Haute Autorité de Santé a d’ailleurs publié en 2012 une recommandation : « jamais la première fois sur le patient ».La chirurgie cancérologique se doit aujourd’hui et demain d’intégrer la recherche translationnelle qui permet l’identification de marqueurs moléculaires prédictifs du pronostic ou de l’efficacité des drogues [28], et l’oncogénétique qui a pour corolaire la chirurgie prophylactique [29]. Au delà du défit technologique, à l’ère de l’innovation digitale, de l’intelligence arificielle, de la transmission ultra-rapide, du « big data », c’est le vieillissement de la population qui représentera un challenge dans les années qui viennent. Après 5000 ans de variations insignifiantes, l’espérance de vie a doublé en 200 ans pour 2 raisons : l’hygiène et la nutrition, les progrès de la médecine. Pourtant la prochaine génération pourrait être la première dont l’espérance de vie ne dépassera pas celle de ses parents (tabac, régimes alimentaires (fast-food), surpoids et stress [30] pourraient y contribuer). Aujourd’hui, le rapport incidence / mortalité par cancer prouve que le chemin est encore long [31]… La chirurgie reste le premier traitement curateur des tumeurs solides. Elle bénéficie indiscutablement des progrès technologiques comme toutes les spécialités qui l’entourent. Elle restera sans doute encore longtemps « une nécessité » [32], mais dans l’environnement pluridisciplinaire qui est devenu essentiel, l’avancée des thérapeutiques neo-adjuvantes, chimiques, immunologiques, cellulaires et/ou génétiques modifiera probablement ses modalités. Le chemin parcouru en 50 ans est immense ; au regard de l’échelle du temps c’est une évolution fulgurante. Le but ultime des progrès accomplis, et à venir, est d’améliorer la qualité et l’efficience des soins au sein d’un système de santé où la gestion des lourdes contraintes imposées aux cliniciens et la maîtrise des coûts sont devenus des impératifs.Bibliographie1. Bardinet T. Les papyrus médicaux de l'Égypte pharaonique. Traduction intégrale et commentaire, Papyrus Ebers : p. 157-193, 251-373, 443-451 ; Fayard, Paris 1995.2. Martins ACdeA, Martins C. History of liver anatomy: Mesopotamian liver clay models HPB (Oxford). 2013, 15 : 322–323.3. Léonard de Vinci. Atlas des études anatomiques, Bibliothèque royale du château de Windsor. http://www.royalcollection.org.uk. 4. Chigot JP. Du scalpel à la plume. Mémoires imaginaires d'André Vésale. Editions Glyphe, 20125. Vesale A. De humani corporis fabrica. Livre VII. L'Epitome. Bibliothèque Inter-universitaire de Médecine de Paris (document acquis le 28 octobre 1965).6. Berriot-Salvadore E. Ambroise Paré, une vive mémoire, Collection Medic@, Bibliothèque interuniversitaire de Santé De Boccard, Édition-Diffusion Paris, 2012.7. Ulmann JA, Saint-Simon et la médecine. Biographie (broché). 2011. Glyphe ed. Paris.8. Lengelé B, Grandeur et servitudes du Soleil : Récit anecdotique du journal de la santé du Roi Louis XIV et des malades de son siècle. e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie, 2006, 5 (4) : 45-50.9. Sicard A. La chirurgie française au XVIIIe siècle. http://www.biusante.parisdescartes.fr10. François de Lapeyronie (1678-1747), le "restaurateur de la chirurgie", avec les "démonstrateurs de chirurgie" (1724), l’Académie de Chirurgie (1731), "les droits des chirurgiens" (1743), brillant chirurgien civil et militaire. e-mémoires de l'Académie Nationale de Chirurgie, 2012, 11 (1) : 089-100.11. Lawrence W. History of Surgical Oncology . In Surgery Basic Science and Clinical Evidence. 2001 ; pp 1565-1576. Springer ed. Berlin Heidelberg12. Okinczyc j, Aurousseau, l. Tactique opératoire du pancréas & de la rate La Tactique Opératoire, 1933, Gaston Doin & cie, éd., Paris.13. Turning the pages online. US National Library of Medecine. http://www.nlm.nih.gov/ 14. Fisher B, Slack N, Katrych D, Wolmark N. Ten year follow-up results of patients with carcinoma of the breast in a co-operative clinical trial evaluating surgical adjuvant chemotherapy. Surg Gynecol Obstet. 1975, 140 : 528-34.15. Veronesi U, Cascinelli N, Mariani L et al. Twenty-Year Follow-up of a Randomized Study Comparing Breast-Conserving Surgery with Radical Mastectomy for Early Breast Cancer N Engl J Med. 2002, 347 : 1227-32.16. Fisher B1, Jeong JH, Anderson S, Bryant J, Fisher ER, Wolmark N. Twenty-five-year follow-up of a randomized trial comparing radical mastectomy, total mastectomy, and total mastectomy followed by irradiation. N Engl J Med. 2002, 347 : 567-75.17. Lavis JN, Tugwell P. David Sackett's Unintended Impacts on Health Policy. Milbank Q. 2015, 93 : 867-7018. Gouzi JL, Huguier M, Fagniez PL et al. Total versus subtotal gastrectomy for adenocarcinoma of the gastric antrum. A French prospective controlled study. Ann Surg. 1989, 209 : 162-6.19. Dubois F et al. Coelioscopic cholecystectomy, Ann Surg, 1990, 211 : 60-6220. Slim K et al. Analysis of randomized controlled trials in laparoscopic surgery Br J Surg 1997 ; 84 : 610-614. 21. Martel M, Crawford A, Barkun JS et al. Expert Opinion on Laparoscopic Surgery for Colorectal Cancer Parallels Evidence from a Cumulative Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. PLoS ONE | www.plosone.org, 2012, 7, Issue 4, e35292 22. Enker WE. The Natural History of Rectal Cancer 1908-2008 : The Evolving Treatment of Rectal Cancer into the Twenty-First Century. Seminars in Colon & Rectal Surgery 2010, 21 : 56-74Presented as the W. Ernest Miles, Centenary Lecture, October 2, 2008, the W. Ernest Miles Symposium, the Royal Marsden Hospital, London, UK.23. Tuech JJ, Karoui M, Lelong B, De Chaisemartin C, Bridoux V, Manceau G, Delpero JR, Hanoun L, Michot F. A step toward NOTES total mesorectal excision for rectal cancer: endoscopic transanal proctectomy. Ann Surg. 2015, 261 : 228-33.24. Babaian C, Bucks County Community College, Newton,Pa. https://www.nsf.gov/news/special_reports/scivis/popup/davinci.jsp 25. Babaian C. Leonardo’s Legacy. 2010 http://www.pbs.org/wgbh/nova/blogs/secretlife/blogposts/leonardos-legacy/26. Dehabadi M, Fernando B, Berlingieri P. The use of simulation in the acquisition of laparoscopic suturing skills. Int J Surg. 2014; 12 : 258-6827. Giannotti D, Patrizi G, Di Rocco G et al. Play to Become a Surgeon: Impact of Nintendo WII Training on Laparoscopic Skills. PLoS One. | www.plosone.org, 2013; 8 (2) :e57372. 28. Le Programme de Recherche Translationnelle en cancérologie (PRT-K). 30 Dec 2016. http://www.e-cancer.fr/Professionnels-de-la-recherche/Recherche-translationnelle/Le-PRT-K29. Institut National du Cancer. http://www.fascicules.fr/recommandations-conferencesconsensus-accueil-0.html30. Elmore LC, Jeffe DB, Jin L et al. National Survey of Burnout among US GeneralSurgery Residents. J Am Coll Surg 2016, 223 : 440-45131. http://globocan.iarc.fr32. Elias D. Basic concepts and future prospects of oncologic surgery. Ann Chir 1997, 51, 21-31