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The e-mémoires of the Académie Nationale de Chirurgie

L’Étrange testament du Docteur Guillaume Dupuytren

LISFRANC R

Seance of wednesday 02 november 2016 (CHIRURGIE INTERVENTIONNELLE PÉDIATRIQUE)

Abstract

Dans cette auguste salle, il est habituellement question de chirurgie de demain, de chirurgie du futur. Est-il légitime de se reporter 150 ans en arrière, pour disséquer l’étrange testament de Dupuytren ? Je le pense d’autant plus que les formes graves récidivées pluri-digitales demeurent l’apanage d’une chirurgie traditionnelle hormis la découverte éventuelle d’un traitement non sanglant.L’histoire commence par la découverte fortuite d’un livre en maroquin rouge dont le dos portait ces mots énigmatiques : DUPUYTREN, MONDOR, MANUSCRIT ; il s’agissait en fait de cinq petits cahiers d’écolier couverts d’une écriture fine, très raturée comportant une adresse en cas de perte : MONDOR rue JOUFFROY PARIS 17eme. MONDOR a rédigé ce texte en 1945, un an avant son élection à l’Académie Française, liée davantage à ses travaux sur Stéphane Mallarmé plutôt qu’à la rédaction des « DIAGNOSTICS URGENTS ». Un mois plus tard, le même libraire me propose l’acquisition du manuscrit olographe DE DUPYUTREN (une page double recto verso), dont il existe un double aux Archives Nationales. Il importe ici de se souvenir que Guillaume DUPUYTREN est à cheval entre le XVIII siècle et le XIX : né en 1777 il meurt à 57 ans en 1835, ce qui signifie qu’il a connu la Monarchie, la Révolution, Napoléon, Louis XVIII et Charles X. Son écriture est celle du XVIII siècle, son œuvre et ses travaux sont les prémices de la chirurgie moderne. Les hommes vieillissent par la démarche, par la parole et enfin par l’écriture : en l’occurrence son écriture s’altère, devient presque illisible au fur et à mesure que les pathologies de Dupuytren s’aggravent : séquelles d’une hémiplégie droite, pneumopathie bilatérale purulente.Les premières lignes du testament datent du 21 octobre 1834 pour s’achever un mois avant sa mort, le 11 janvier 1935. En fait la maladie elle-même, c’est à dire le premier accident vasculaire cérébral date du 15 novembre 1833 ; la fin de cette année jusqu’au mois d’octobre 1834 est consacrée à un long voyage avec son gendre, le Conte de Beaumont, pair de France et sa fille Adeline.Dans le détail, le testament lui-même comporte trois paragraphes : le premier paragraphe est une sorte d’état des lieux, sur le plan moral et philosophique concernant ce qu’il fut, ce qu’il est, ce qu’il pense : « l’ordre et le travail sont une grande puissance ».Le second paragraphe concerne « les devoirs de famille ». Il s’agit ici essentiellement de sa fille Adeline, son unique amour. Dupuytren lègue à sa fille et à son gendre 2 millions de francs or ainsi qu’une rente annuelle.Sa fortune a pu être évaluée à 3 millions de francs or, en partie grâce à sa pratique privée, mais aussi au banquier James de ROTHSCHILD, son patient, son ami et enfin son banquier.Le troisième paragraphe concerne les devoirs de société : Dupuytren voulait créer une chaire d’anatomie pathologique dont Cruveilhier serait le premier titulaire ; il décrit ici les observations dont ses élèves firent paraître un résumé sous le nom : Leçons Orales faites à l’Hôtel Dieu en 1835.Reste enfin le codicille rédigé un mois avant sa mort, émouvant et presque illisible sachant qu’il préférait mourir de la main de Dieu que de celle des hommes. Il s’éteignit dans la nuit du 8 févriers 1835, à trois heures du matin, sa main dans la main de sa fille Adeline. L’autopsie fut pratiquée par Broussais et Cruveilhier : la plèvre contenait 2 pintes de pus. Le 11 février au cours de funérailles quasi - nationales, son cercueil est transporté vers le cimetière du Père Lachaise, supporté par ses élèves et par les patients qu’il avait gracieusement soignés. Ainsi se présente le Testament de Dupuytren le plus célèbre chirurgien de son temps mais peut-être aussi le plus seul : il souffrit davantage de ses chagrins qu’il ne triompha de sa gloire, tant il est vrai que la gloire n’est souvent que le deuil éclatant du bonheur.