Introduction
Seance of wednesday 12 february 2014 (CHIRURGIE DU CANCER PANCRÉATIQUE : LUEURS D'ESPOIR)
Abstract
Un tueur négligéLe cancer du pancréas est mal perçu aux yeux du public : l’organe cible est profond, son fonctionnement encore mystérieux, et les facteurs en cause imprécis. Cependant, et bien qu’il n’ait fait l’objet que de très peu de diffusion médiatique, le cancer du pancréas constitue, à l’heure actuelle, un véritable problème de santé publique à l’échelle mondiale. Situé parmi les 5 causes les plus importantes de mortalité par cancer, il est responsable de la mort de plus de 300.000 personnes par an dans le monde tandis que la survie globale médiocre des patients à 5 ans (autour de 4-5%) après le diagnostic ne s’est pas radicalement modifiée au cours des 30 dernières années. Représenté essentiellement par l’adénocarcinome canalaire exocrine pancréatique, il s’agit d’un cancer relativement peu fréquent mais dont la haute gravité impose un lourd fardeau pour les pays développés. La mortalité de ce cancer considérée dans sa globalité n'a pas diminué au cours des dernières décennies ; sa prévalence est en augmentation dans les pays développés et, pour la société, le coût de sa prise en charge est élevé.La chirurgie représente le seul espoir de guérison. Elle a fait l’objet d’importants progrès qui se traduisent par la nette réduction de la mortalité postopératoire, par la diminution de la morbidité et des séquelles post-opératoires, par l’élargissement des indications chirurgicales, l’amélioration de la prise en charge péri-opératoire, la codification des thérapies adjuvantes et/ou néoadjuvantes, et l’augmentation de la survie post-opératoire.Néanmoins, le diagnostic est trop souvent fait à un stade évolué au terme d’une période de latence clinique ou de symptômes insuffisamment précis. Le pronostic reste sombre dans la majorité des cas, même si des survies post-opératoires éloignées ont été rapportées. Le véritable espoir d’améliorer significativement le pronostic passe par la détection précoce de lésions débutantes avant le stade de cancer invasif, en ciblant les sujets à risque élevé. La détection à un stade infra clinique offre la possibilité de poser l’indication opératoire en offrant un espoir fondé de guérison. Si les stades précurseurs du cancer du pancréas sont nettement définis au plan anatomo-pathologique, ils restent encore imparfaitement évalués au plan biologique en raison de la complexité des mécanismes de la cancérogénèse pancréatique. L’imagerie reste peu contributive à un stade précoce, en raison de la petite taille des lésions. En revanche, certaines lésions précancéreuses sont bien identifiées et sont parfaitement décelables par l’imagerie et l’échoendoscopie. Ce sont les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses et les cystadénomes mucineux. L’évolution de ces lésions vers le cancer est documentée et celles-ci doivent être diagnostiquées et traitées avant qu’elles n’atteignent le stade de dégénérescence. Les connaissances en matière d’épidémiologie du cancer du pancréas ont évolué au cours de la dernière décennie. La meilleure compréhension des facteurs de risque a rendu possible l’identification d’une sous-population de sujets à haut risque qui pourrait bénéficier d’un dépistage. Cette sous-population concerne les patients qui présentent des antécédents caractérisés de cancer du pancréas familial, une longue histoire de pancréatite chronique, un diabète de survenue récente, les gros fumeurs et encore les patients qui ont une prédisposition héréditaire liée à des facteurs génétiques déterminés par mutation de la lignée germinale.Des lueurs d’espoirLa génétique n’est pas seule en cause pour dicter la destinée d’un individu. D’autres facteurs sont en jeu, en particulier ceux qui ont trait à l’épigénétique, c’est à dire à la perturbation de l’expression des gènes indépendamment de toute modification des séquences de l’ADN. Un ensemble de dérégulations épigénétiques spécifiques portant sur de petits nucléotides, les microARNs, est susceptible de modifier l’expression des gènes. La présence dans les fluides biologiques de ces microARNs, qui restent étonnamment stables, incite à considérer ceux-ci comme de possibles marqueurs biologiques susceptibles de détecter la tumeur avant toute manifestation clinique. Le concept de cellules souches cancéreuses introduit la notion d’une répartition hiérarchique des cellules tumorales et fournit une explication à la chimio-radio-radiorésistance de certaines tumeurs. Ce concept explique également la trop fréquente récidive de la maladie après chirurgie à visée curative et après différentes modalités de traitement cytotoxique, parfois après un intervalle libre prolongé. L’intérêt croissant pour des thérapies ciblées visant à éliminer les cellules souches cancéreuses ou à modifier spécifiquement l’environnement tumoral est à l’origine de nouveaux axes de recherche. Il est désormais réaliste de concevoir l’impact clinique d’un traitement combiné ciblant et manipulant les microARNs spécifiques des cellules souches cancéreuses par l’emploi d’antagonistes (antagomiRs) et/ou d’agonistes (miRmimics) de ces microARNs.Deux théories ont été proposées pour expliquer l’importante mortalité liée au cancer du pancréas. La théorie classique suggère qu’il s’agit d’un cancer hautement agressif qui s’étend très rapidement aux autres organes, cette rapidité d’évolution laissant peu de temps pour permettre d’intervenir efficacement. L’autre théorie de formulation plus récente et basée sur la génétique, implique l’évolution des clones et sous-clones des cellules cancéreuses. Selon cette théorie, le cancer du pancréas se développerait au même rythme que les autres cancers et seul le délai dans l’apparition des symptômes serait responsable du retard diagnostique, peu compatible avec l’instauration d’un traitement efficace.Cette notion récente du développement du cancer du pancréas sur une assez longue période de temps offre de nouvelles perspectives pour rechercher la possibilité de porter le diagnostic à un stade « utile » permettant de définir une fenêtre d’efficacité du traitement. Il a été suggéré que, environ 12 années s’écouleraient depuis le début du processus de tumorigénèse jusqu’à la constitution du cancer du pancréas, tandis qu’un temps additionnel serait requis pour la formation de métastases. Dans cette conception, la tumeur primitive n’est pas une entité unique, mais est en fait un mélange de sous-clones génétiquement distincts parmi lesquels seulement un type a la capacité d’aboutir à la formation de métastases par le jeu des cellules souches cancéreuses. L’espoir est que le diagnostic de cancer du pancréas à un stade précoce, ou encore mieux au stade des précurseurs du cancer, devienne prochainement réalité par la détection des cibles moléculaires qui sont à l’origine des mutations cancérogènes. Le cancer du pancréas a peu de retentissement médiatique par rapport à son poids médico- et socio-économique. Il attire moins de 2% des fonds de recherche attribués au cancer et accumule moins de 5% des rapports d’essais cliniques dans la littérature médicale. Seule une nouvelle drogue, la gemcitabine a eu un impact thérapeutique significatif avec cependant un bénéfice clinique modeste. En terme de survie à 5 ans, la différence est franchement défavorable par rapport aux résultats obtenus dans la prise en charge des cancers les plus fréquents, - sein, - côlon et - poumon, et en considérant la globalité des patients. Le cancer du pancréas reste bon dernier.La recherche translationnelleLa recherche translationnelle concerne l’application de technologies émergentes du laboratoire de recherche au lit du malade. Elle est en passe de laisser entrevoir des lueurs d’espoir pour le diagnostic précoce et le traitement de ce cancer hautement agressif.Pour s’attaquer à cette maladie redoutable, les chercheurs sont contraints de s’appuyer sur des études de grande ampleur comportant des protocoles contrôlés de collections d’échantillons de tumeurs, de liquides biologiques et de données biomédicales, c’est à dire sur des études multicentriques internationales.Les organismes de financement doivent prendre en considération l’enjeu en terme de santé publique et d’incidence médico-économique que représente la recherche sur le cancer du pancréas.